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Hégémonie culturelle

L'ombre de Jacques Vergès

Retour sur la vie et l'œuvre de Jacques Vergès (1924-2013), dont le combat incarne autant la libération de l'Homme que l'indépendance de la France.

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Par Gabriel R.

Lecture 15 min

Dans la pénombre de son bureau-bibliothèque où se côtoient les plateaux d'échec et les bustes des Grands Hommes, Jacques Vergès, allume son cigare, tire dessus, et recrache une volute de fumée blanchâtre. Dans cette brume, nous méditons quelques instants sur l’œuvre et la vie de celui qui fut l'un des derniers géants. Créature authentique de ce siècle d'espoir et d'horreur. Pourquoi dés-embaumer l'Homme de loi ? Parce qu'il contient en lui tous les moments où l'Humanité fut prise à témoin. À chaque fois que Vergès s'avançait dans le prétoire il ressuscitait la controverse de Valladolid. Oui, la praxis de Vergès, c'était Antigone contre Créon, c'était Las Casas contre Sepulveda, c'était Voltaire contre l'Absolutisme, c'était Zola contre l'Armée, c'était aussi, bien évidemment, l'Incorruptible Robespierre, avocat lui aussi, qui défendait les pauvres et les humbles autant que sa Patrie, la France.

Né dans les années 1920 d'une mère vietnamienne et d'un père français, Jacques Vergès s'engage à 17 ans dans la France libre aux côtés du général de Gaulle car voir la France disparaître lui paraissait insupportable « Je me bats pour la libération de la France, la France charnelle. Je me bats aussi contre les idées fascistes » (1). Au lendemain de la libération, il adhère au Parti communiste français en parallèle de ses études d'Histoire. Sa plume et sa culture classique feront le ciment de ses prochains combats. Dans les années 1950, il s'engage dans la lutte anticolonialiste et rompt avec le PCF, qu'il trouve trop hésitant vis-à-vis de la question algérienne. S'étant réorienté vers des études de Droits, Vergès rentre au barreau et lie son métier d'avocat à la cause algérienne. Défenseur du FLN, Vergès inaugure une nouvelle façon de couvrir les moudjahidin. Tandis que les précédents avocats comptaient sur la mansuétude des juges pour obtenir la grâce ou une réduction de peine, Vergès inventa le procès de rupture. Le procès de rupture consiste en la chose suivante. Quand le procureur parlait de « terrorisme » Vergès répondait « résistance », quand la justice française usait du mot « attentat » il rétorquait « acte de libération nationale ».

Bref, en rendant le dialogue complètement cacophonique avec l’appui de l’agitation médiatique, le procès prenait une dimension internationale, contraignant les juges à composer avec l’opinion. En fait, Vergès n'affirma jamais avoir inventé le procès de rupture mais plutôt l'avoir nommé et théorisé à la manière de Guizot et Marx avec la lutte des classes dont l’apparition précéda de quelques millénaires sa désignation et sa conceptualisation. Toute sa vie, Vergès ne cessa d'être le grain de sable dans les rouages judiciaires de l'ordre libéral. De l'Algérie à l'affaire d'Outreau, de Saddam Hussein aux damnés de la terre de la France profonde brisés par des problèmes sociaux, les sans-voix et les dirigeants du tiers-monde résistants à l'Empire américain trouvèrent toujours en cet Incorruptible un soutien indéfectible.

L'anticolonialiste rendait à juste titre hommage à l'Incorruptible montagnard en ces mots : « Il est bon de se rappeler qu'il y eut dans l'Histoire de France un homme politique qui méritait le nom d'Incorruptible. En ces temps de mondialisation où les entreprises licencient, dégraissent, délocalisent sans se soucier du sort des salariés qu'elles jettent à la rue, il est bon de se rappeler que Robespierre voulait que les pauvres puissent parler en maîtres. […] En ces temps où l'idée de nation est contestée il est nécessaire de faire revivre l'exemple de celui qui, selon Jaurès, fut toute sa vie guidé par une seule idée : la nation souveraine. » (2)

Vergès, jacobin jusqu'à sa dernière expiration, ne manquait pas de porter la voix du Comité de Salut Public dans cette interminable Directoire mondialisé qu'est le néolibéralisme. Dans cette République bourgeoise, de girouettes corrompues soumises au Capital financier, Vergès ne finit pas de hanter les couloirs des institutions. Vergès, c'est Las Casas contre Sepulveda disions nous plus haut, oui mais c'est aussi 1793 contre 1795, oui Vergès c'est l'inextinguible An II contre le perfide Thermidor, Vergès c'est la nuit du 4 août. Si nous affirmons que Vergès à la manière de Jaurès prend place aux côtés de Robespierre, Marat et les autres sur les bancs de l'Hémicycle c'est que cet « aristocrate du refus » selon le mot de monsieur Charvin, ne cessait de tenir dans son poing le mât incassable du drapeau tricolore pour le planter toujours plus haut. Combien de fois n'a-t-il pas dit que sa France n'était pas celle de Aussaresses, Pétain et Mitterrand mais celle de « Montaigne, Diderot, la Révolution (3)» ?

Au nom de quoi pourfend-il le droit de l'Hommisme ? Au nom de la dignité humaine (4). Au nom de quoi balaye-t-il d'un revers de main l'humanitarisme ? Au nom de l'Humanisme (5). Ce n'est point par le biais d'une quelconque dissolution nominalistique de l'humanité en amoncellement de tribus et de clans irréductiblement ennemis, à la manière d'un Joseph de Maistre que Vergès condamne le droit-de-l'hommisme. Non c'est une idée authentique de l'humanité qui le guide, un humanisme intégral qui ne saurait souffrir d'aucune entorse, d'aucune exception. Ainsi retourne t-il contre la bourgeoisie ses propres armes en la prenant au mot. Jamais son procès inlassable du colonialisme ne le mena à renier l'idée de la France. La France s'avilissait en massacrant. Il faisait sienne cette phrase de Simone Weil dans une lettre à Bernanos : « Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir. ». À la manière de Sade avec les républicains, Vergès s’efforçait de dire aux libéraux : « Encore un effort pour appliquer les Droits de l'Homme, encore un effort pour prétendre au glorieux titre de démocratie ». « Démocratie, le mot est vite dit ! », rétorque l'avocat, « vous qui, dans une obscure dialectique, êtes prêts à violer tous les droits les plus élémentaires pour appliquer ces mêmes droits. »

En défendant dans le même mouvement les humbles et les faibles que les grands hommes d'État, Jacques Vergès opérait cet aller-retour si fructueux entre le particulier et l'universel entre la vie quotidienne et l'histoire avec un grand H. En défendant ces sans-papiers, le voilà qui perce le brouillard de l'idéologie pour mettre à jour le mécanisme bien huilé de l'impérialisme, du néo-colonialisme et du sous-développement engendrée par la restauration du capitalisme le plus brutal. Souvenons-nous, Vergès c'est le fantôme de la Montagne et toute Restauration lui paraissait nécessairement insupportable. Lorsque Vergès, ancien soldat de la France libre et admirateur du général de Gaulle défend Klaus Barbie, nazi, bourreau de Lyon, le voilà paradoxalement à l'avant-garde de l'humanité et de l'histoire universelle. Vergès ne se contente pas de porter la plume dans la plaie. Il rentre dans le prétoire, non pas seul mais, portant sur le dos 500 ans d'histoire et fait voler en éclat tous les mythes douillets au sein duquel la démocratie libérale aime tant se lover.

Gardien des libertés fondamentales et du droit de résistance à l'arbitraire, Vergès, en ré-affirmant, l'humanité et le droit à la dignité de ce qu'on aime à considérer comme le mal, absolu et radical —, impensable et inexplicable —, nous contraint de faire le bilan de notre propre (in)humanité. « Regardez donc cette image du nazisme », nous confie-t-il. Il poursuit : Regardez ces pelotons d’exécution, ces fosses communes, ces corps décharnés, ce barbelé, ces baraquements de bois. Non, ne détournez pas le regard, regardez encore ces cathédrales de lumière et ces trains partant pour l'Est, oui, regardez. Regardez encore, plissez les yeux et voici que le tableau devient de plus en plus translucide pour ne finalement devenir qu'un miroir, comme la surface lisse et réfléchissante d'un lac d'huile. N'ayez pas peur, dans la barbarie et l'insondable que vous mettez à l’intérieur du nazisme vous ne faites que refouler votre propre passé car le nazisme n'a rien d'étranger. Il ne vient ni d'une autre planète, ni d'une autre civilisation, ni d'une autre culture. Il ne fut en rien permis par l'ignorance comme auraient pu le croire les esprits illuministes de la modernité encore jeune, ni par la folie comme pourraient le croire certains psychologistes.

Non : le nazisme est le fruit de votre propre histoire il naît dans le pays le plus développé et le plus alphabétisé du monde, au cœur même de la dite « civilisation ». Là où les arts et les savoirs croissaient, croissait le péril le plus atroce que l'Occident ait eu à affronter. Les européens vivaient dans leur chair les procédés coloniaux et eugénistes qu'ils appliquèrent méthodiquement dans les cinq continents sur lesquels ils posèrent les pieds, et ce, depuis un demi-millénaire. Prenez garde à ne pas vous tromper de procès, jugez Klaus Barbie mais gardez bien en tête que vous vous parlez à vous-même lorsque vous parlez à un nazi.

La défense de rupture inaugurée par Vergès réside dans ce miroir tendu. Le juge, et donc par analogie l'État, plonge son regard dans son reflet et comme un violent flash-back, le voici frappé d'horreur en contemplant le fleuve de sang de l'histoire. Le procès de rupture institué et formalisé par Vergès est une véritable lutte d'hégémonie. Il cesse d'être une simple interaction judiciaire pour devenir un contentieux politique derrière lequel la lutte des classes n'est jamais bien loin. Il fait sortir le Droit de son ornière bourgeoise, neutre, lisse, froide, mystificatrice pour lui redonner sa dimension historique et par la même occasion sa dimension inhumaine (6).

Erreurs judiciaires, démagogie, justice de classe, racisme, Vergès ne manquait pas de montrer que ce que l'on nomme non ironiquement la justice n'est en somme qu'une immense machine dont le but est de broyer proprement les faibles dans un décorum égalitaire. Des riches qui jugent des pauvres. Pauvres parce que les riches les ont jeté dans cet enfer. Un enfer qui produit de la violence. Une violence condamnée par des riches. La boucle est bouclée. Le même cercle vicieux se reproduit à l'échelle mondial. Des cours et des tribunaux prétendument internationaux jugent les pays pauvres au nom des Droits de l'Homme qu'ils exportent depuis 200 ans par la violence. Un saccage du monde qui justifie sa pacification au nom des Droits et suscite des réactions violentes violant à nouveau ces droits. En bref : « Les grandes démocraties niaient les Droits de l'Homme dans leur empire. Elles prétendent les imposer maintenant qu'elles n'y sont plus. » (7)

Néanmoins, à la lecture de ces lignes, ne faisons pas de Vergès ce qu'il n'était point : un autophobe prêchant la haine anti-française. Bien au contraire son enracinement patriotique nourrissait sa réflexion universelle : « Je suis pas déchiré mais double, car à ma culture française et européenne, je joins un sentiment de profonde solidarité avec les peuples du Tiers-monde (8) ». Ainsi il rendait en partie possible en acte cette fulgurance de Fanon (9) : « Tous les éléments d’une solution aux grands problèmes de l’humanité ont, à des moments différents, existé dans la pensée de l’Europe. Mais l’action des hommes européens n’a pas réalisé la mission qui lui revenait (10). » Vergès tenta jusqu'au bout de sa vie la réalisation de cette mission historique qui nous revient, ce prophète nous laisse un témoignage sanctuarisé dans le marbre.

→ À lire aussi : Frantz Fanon, le mouvement décolonial et nous

Vergès s'insurgea contre la possible disparition de la France en 40, contre le capitalisme mais aussi contre les positions complaisantes vis-à-vis du colonialisme du Parti communiste. Sans jamais renier son héritage ni basculer dans l'auto-flagellation et l'anti-totalitarisme libéral qui caractérise les années 70-80 préparant la macabre « fin de l'histoire » des décades 1990-2000. Lors de cette immense désaffection idéologique qui signa la fin du conflit et du politique même autour d'un nauséabond consensus néolibéral et pro-atlantique, Vergès continua de plaider pour la sortie de l'OTAN, contre l'interventionnisme droit-de-l'hommiste, contre l'Axe euro-atlantique (qu'il qualifie très justement de « pétainisme triomphant (11)» ), contre l'anti-communisme fulminant, contre le racisme, contre l'anti-patriotisme. Dès lors que le mur de Berlin se brise et que l'URSS se disloque, Vergès, au pire de la réaction libérale du début de la décennie 90 persiste et signe en défendant une position claire et lucide sur le communisme au XXe siècle en ne versant ni dans l'anti-totalitarisme bas de plafond ni dans l'éloge béat frisant le négationnisme (12). De plus, ses vues dès 1989 sur le probable fiasco des révolutions oranges se confirment dans les années qui suivent. C'est en cela que Vergès recèle de trésor pour un communiste au XXIe siècle.

Vergès, ne cessons pas de le rappeler, tient les deux bouts : de Gaulle dans une main, Mao dans l'autre, Robespierre dans une main, Ho Chi Minh dans l'autre « de, Gaulle, le PCF, le FLN […] la profonde cohérence : le combat contre l'humiliation […] celle d'un peuple ou d'un homme (13) ». L'adéquation entre l'anti-impérialisme et le souverainisme s'articule dans une continuité d'ensemble qui s'incarne dans un infatigable combat politico-judiciaire : « Mon combat auprès de la France libre et mon combat auprès du FLN obéissaient à la même logique. » Ses derniers faits d'armes contre le diabolique duo BHL-Sarkozy à l’œuvre en Libye en 2011 avec les conséquences que l'on connaît... (Balkanisation totale de la Libye post-khadafi, retour de l'esclavage, crise migratoire..) témoigne d'une acuité on ne peut plus actuelle à l'heure où Kaboul est à nouveau tombé sous la main de talibans suite à 20 années d'ingérence occidentale.

Le Gaullo-tiers mondiste s'est éteint dans la même chambre que François Marie Arouet ( plus communément connu sous le nom de « Voltaire » ) un soir d’août 2013. Il nous laisse une vie exemplaire à la croisée entre théorie et pratique et des vues lumineuses sur la situation mondiale. Mais hélas que n'aurait-il dit sur ce qui s'est passé par-delà son ultime battement de paupière ! En effet, l'avocat du diable expira alors que les nuages s’amoncelaient encore dans le ciel de l’Hexagone et ses outre-mer. Mais alors que son corps était encore chaud voilà l'orage : vagues d'attentats, abdication et franc-suicide de la gauche « « « réformiste » » » , proclamation puis destruction de l'État islamique en Irak et au Levant (Daech) suite à la déstabilisation du monde arabo-musulman (après les (contre)-révolutions arabes largement soutenues par l'Occident libéral ) , fracture sociale doublée d'une fracture identitaire, brutalité policière, montée des tensions USA-Chine sur fond de néo-guerre froide, prolongement sans fin de l'État d'urgence, nouvelles formes de censures, Brexit... Tant au niveau national, qu'européen et mondial, Vergès n'aurait pas manqué de voir ses analyses confirmées par le cours des événements.

Là où le « salaud lumineux » aurait été d'une incroyable efficacité c'est dans l’aller-retour (pour certains désuet, mais essentiel) aller-retour entre patriotisme et internationalisme. Le patriotisme pour liquider le fascisme, l'internationalisme pour liquider le cosmopolitisme. Encore heureux, son départ n'a pas signifié la disparition de son œuvre et même si cela peut sembler vieille école, il n'est parfois pas inutile d'ouvrir un de ses livres. À la lumière de ses écrits nous pouvons dégager cette identification, ce lien indissoluble entre la souveraineté nationale et la lutte internationaliste contre l'impérialisme. « Nous ne voulions pas un univers unicolore […] encore moins la disparition des patries, mais leurs renaissances. Une France, française une Chine chinoise. » (15). Il reste porté à la fois par l'imaginaire national tout en restant fidèle au marxisme tant dans sa dimension d'outil d'analyse que dans le rêve et les luttes qu'il a supposé au XXe siècle pour les ouvriers d'Europe et les colonisés du sud (16).

Maoiste amateur de grands restaurants, Vergès incarne également une certaine esthétique, une geste politico-littéraire qui le place dans une position hybride de dandy marxiste aux penchants barrèsiens. À des années-lumières du néo-puritanisme gauchiste et de l'ascétisme décroissant écolo-réac’, Vergès réaffirme que le révolutionnaire apprécie le bon et le beau ; la révolution « continue une œuvre (17) », ne détruit aucun livre, fut-il écrit par Céline, et ne rechigne pas à siroter un bon vin. Une façon de brandir Fanon et de Gaulle en même temps, un moyen de balayer d'un quadruple revers de main les antifas et les zemmouriens lorsqu'il brosse un éloge de Staline et Napoléon dans la même phrase (18). Il laisse derrière lui une œuvre conséquente imprégnée du goût de la liberté et dépourvue de tous les tabous livresques. Sa bibliothèque, dispersée après sa mort dans une vente aux enchères parisienne, recélait de plusieurs milliers de titres dont les œuvres de Rousseau, Chateaubriand, Voltaire, Hérodote, Brasillach... Ne voyons pas là qu'un simple effet d'ensemble dans ce lien qu'il faisait sans cesse entre patriotisme et internationalisme et dans ses lectures éclectiques. En faisant dialoguer Marx et Heidegger comme Malraux faisait dialoguer Spengler et Hegel, Vergès restituait dans chacune de ses analyses un savoir universel.

Encore une fois, prenons garde à ne pas faire parler les morts. Il semble pourtant bien possible que les mécanismes d’excommunications, d'annulation de la vie sociale que pratique une certaine gauche postmoderne sur les réseaux sociaux soit à l'opposé de la geste vergèssienne. Le débat est bien souvent dissout dès le début dans une série d'invectives et d'anathèmes disqualifiant pour terminer dans les tribunaux où associations et groupes d'influences se font les défenseurs des « minorités » prétendument opprimées en faisant basculer toute critique dans le giron de la « haine ». À ce titre là, la loi Gayssot que le résistant a farouchement combattue, et l'extension du domaine de l'antisémitisme, désormais étendu à toute critique de l'État d’Israël et du sionisme a selon lui ouvert la boite de pandore, et de fait, désormais, les vrais antisémites à la manière de certains rappeurs à la mode se font un plaisir de jouer avec les limites de ce dispositif juridique.

Comme le fait remarquer Zizek à sa suite, la sanctuarisation de la Shoah et désormais de tous les dits « crimes contre l'Humanité » enrobe les événements historiques les plus iniques d'une aura, d'une gangue métaphysique et transcendantale dont la portée dépolitisante ne contribue pas à l'approfondissement de la réflexion historique. L'objet, le crime, est frappé d'un sceau sacré l'excluant d'office de la sphère de la réflexion pour le faire pénétrer dans le domaine théologique. Bientôt, la moindre voiture bélier fauchant des innocents dans les rues d'on ne sait quelle ville pourrait accoucher à terme d'un label mémoriel rendant la discussion autour de la chose impossible (19). La chose, le Grand Autre, l’Innommable, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom comme dirait les personnages d'Harry Potter au sujet du méchant « Voldemort ».

Vergès c'est donc, en bon dialecticien, l'amour du savoir et de la contradiction : « Pour qui s'est nourri d'Héraclite, de Hegel et Mao, la vie dans le monde de la pensée unique est vécue comme un exil. Quand la contradiction qui est la vie même est niée, la réalité est niée ; c'est le domaine de la médiocrité absolue. » (20). Ainsi citait-il à juste titre la regrettée « République des lettres » où Malraux, Drieu, Montherlant et Aragon (21) se côtoyaient sans aucune animosité, quitte à se faire face dans la rue après s'être grillé une cigarette dans les locaux d'une revue commune quelques heures avant. Il appartient aux patriotes de porter sa mémoire, une mémoire chaotique dont beaucoup de commentateurs ont dit qu'elle était contradictoire. Non, elle se pose devant nous d'un seul tenant. Nous admirons sa puissante unicité et nous pensons que quelques-uns de nos camarades gaullistes et souverainistes se retrouveront dans ce portrait rassembleur. Oui, entre ici Jacques Vergès et son terrible cortège...


(1) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 76-77
(2) Jacques Vergès, Journal ; La passion de défendre, Paris, 2008, Rocher, page 65-66
(3) Barbet Schroeder, Vergès l'avocat de la terreur, 2007
(4) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 114
(5) « Je crois en les possibilités infinies de l'Homme » , Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 68
(6) Jacques Vergès, Journal 2003-2004, Paris, Plon, page 116
(7) Jacques Vergès, Journal ; La passion de défendre, Paris, 2008, Rocher, page 104
(8) op cit, page 16
(9) Vergès souligna le « parallélisme » entre la trajectoire de Fanon et la sienne voir Journal 2003-2004, Paris, Plon, page 213
(10) Frantz Fanon, Les damnés de la Terre, Paris, 2002, La découverte, page 303
(11) Jacques Vergès, Journal 2003-2004, Paris, Plon, page 77
(12) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 92-94
(13) Jacques Vergès, Journal 2003-2004, Paris, Plon, page 121
(14) Jacques Vergès, Journal 2003-2004, Paris, Plon, page 92
(15) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 112
(16) Edmond Blattchen, 12 mars 2006, « Jacques Vergès à cœur ouvert », Nom de dieux, RTBF
(17) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 64
(18) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de poche, 1990, page 91
(19) Sur l'élévation de la Shoah au rang d’Événement indicible in-objectivable on lira les excellentes pages du philosophe Slavoj Zizek dans Vous avez-dit totalitarisme ?, Paris, Amsterdam, 2013, pages 71-80
(20) Jacques Vergès, Dictionnaire amoureux de la justice, Paris, Plon, 2002, page 345
(21) Jacques Vergès, Le salaud lumineux, Paris, Livre de Poche, 1990, page 51
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