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Hégémonie culturelle

Lumières Jacobines

Tandis que la bourgeoisie n'est plus en mesure d'accéder au niveau de raison des Lumières françaises du XVIIIe siècle, faisons-nous les continuateurs des encyclopédistes. En pensées et en actes.

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Par Gabriel R.

Lecture 15 min

En ces temps pluvieux, brumeux, humides et verglacés où les différents acteurs du paysage politique se disputent le titre de champion de l'obscurantisme, il ne nous apparaît pas inutile de réaffirmer notre filiation humaniste et universaliste qui culmine et prend toute sa dimension politique avec la République Jacobine de 1792-1794, après un siècle de philosophie des Lumières. Voilà un héritage qui n'a pas le vent en poupe. À tribord, voilà les droitards nietzschéens pataugeant dans la pulsion de vie, la volonté de puissance, les différents flux d'énergie plus ou moins viriles et érectiles.

À bâbord, à peu près les mêmes… recroquevillés sur eux-mêmes gesticulent frénétiquement, répétant rhizomatiquement la même chose sur la « rationalité occidentale » source de tous les maux [insérer citation de Rousseau extraite de sa correspondance complète prouvant qu'il était raciste et que par conséquent sa théorie du contrat social, comme toutes les autres produites à son époque est irrémédiablement imprégnée de racisme…].

Enfin, en face de nous, les libéraux, scientistes et techno-fascistes, que dis-je « transhumanistes », qui portent seuls le drapeau de la « raison ». On citera pour cerner ce phénomène le récent journal/torchon de Raphaël Enthoven et Christophe Barbier, sobrement intitulé Franc-tireur (rien que ça) et affreusement sous-titré « La raison est un combat ». Cette entreprise éditoriale concentre en 8 pages toute la lie atlantiste composée d'un panel bariolé de : centristes mous, modérés, démocrates bourgeois, ripoublicains laïcistes, euro-critiques (mais pas frexiteurs, donc forcément macroniens une fois l'alcool redescendu), anti-totalitaire, « ni-ni » (ni Zemmour ni Mélenchon). Bref, tout un régiment de rats de rédaction(s) qui combat la « démagogie populiste » à longueur de clavier mais qui se rangent du côté de la matraque à chaque fois que le désordre ambiant est remis en cause.

Si cette légère digression était nécessaire, c'est parce qu'il ne suffit point de parler au nom de la Raison et des Lumières pour en être l'héritier concret. De plus, la modération et la nuance dans la bouche des élites se confondent inéluctablement avec compromission voire collaboration. Ainsi, l'héritage des Lumières traverse un âge sombre. Retournons-nous quelques instants vers les Lumières radicales de la fin du XVIIIe siècle français. Ces hommes de lettres ont su chevaucher l'Histoire, parfois jusqu'au sacrifice. Parmi eux, les Jacobins. Qui sont-ils ? Pourquoi leur combat demeure actuel ? De quelles calomnies font-il l'objet ?

Le siècle des Lumières. Le grand XVIIIe siècle. Les règnes de Louis XV et Louis XVI. La Révolution française clôt cette séquence historique qui fût le résultat de la progression des idées des Lumières sur fond de profondes mutations socio-économiques et d'ascension des classes bourgeoises. La modernité libérale qui plonge ses racines plusieurs siècles en amont et qui, dans le cours tortueux de son déploiement, déclencha plusieurs craquements tels que la Réforme ou la Renaissance, finit par chambarder les cadres politiques des plus grandes puissances.

La France après l'Angleterre et l'Amérique vit une formidable Révolution dont la portée politique excède en plusieurs points les déterminations historiques des intérêts immédiats de la bourgeoisie. Robespierre est le symbole de cette projection. Figure de la République Jacobine (10 août 1792 – 9 thermidor an II), Robespierre, un avocat d'Arras. L'avocat des pauvres. Pétri de la philosophie rousseauiste, Robespierre a conscience que la raison cesse d'être une spéculation intellectuelle pour devenir un principe immanent qui tend à pénétrer le politique et à faire fonctionner la société sur des bases que l'Homme sécrète lui-même « La morale était dans les livres ; nous l'avons mise dans le gouvernement des nations (1) ». Il y a en Robespierre une pente pré-hégélienne qui ne manque pas de propulser les Jacobins au-delà du fait bourgeois. En effet, de même que Rousseau renvoya dos à dos les Lumières voltairiennes et l'absolutisme monarchique comme les deux fa(r)ces d'une même pièce anti-populaire, le jacobin fustigea les agioteurs et les accumulateurs en remettant le bien commun au-dessus du principe de propriété privée.

Les Jacobins ne sont pas des libéraux. Ils actent, à la suite de Rousseau, une véritable rupture épistémologique avec les précédentes théories du contrat social. En effet, ils sont les premiers à introduire des conceptions purement socio-économiques à l'intérieur de leur pratique juridico-politique. De fait, les Jacobins considèrent que les inégalités sociales et les conditions matérielles irriguent le corps politique au point de redéfinir les Droits et l'État. Rousseau disait « que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre (2). » Voilà qu'il opérait autour de cette phrase un saut qualitatif dans la pensée des Lumières en circonscrivant l'espace économique à l'intérieur du contrat social et non pas comme une sphère périphérique située au-delà du politique ou sur lequel ce dernier pourrait timidement légiférer. Non. La souveraineté populaire s'exerce aussi sur la main invisible. Si tant est qu'elle existe...

Pour Saint-Just comme pour Robespierre, la Révolution française déborde du cadre libéral. Le moment politique révolutionnaire se veut concrètement universel et annonce l'émancipation de tous les hommes, y compris les esclaves noirs des colonies françaises. Selon la tradition radicale des Lumières, l'esclavage est une honte barbare retirant aux élites esclavagistes leur qualité d'être humain. « Si on allait chercher un homme dans les îles d'Amérique, ce ne serait point parmi les hommes de chair blanche qu'on le trouverait (3). » Cette proposition de Condorcet dépasse sur le plan moral les positions sentimentalistes de Voltaire et Montesquieu dans Candide ou l'Esprit des lois. Ils nourrissaient de la pitié mais leur sentiment chrétien ne prenait pas une dimension politique, ou du moins celle-ci etait refoulée tant leur position de classe contredisait la remise en cause de la colonisation et de l'esclavage.

Si Condorcet produit un saut qualitatif dans la perception morale de l'esclavage en faisant de celui-ci quelque chose de pire que la mort, les amis de Diderot, Pechmeja et Dameville rédigeront dans l'encyclopédie et dans l'Histoire des deux Indes de Raynal des passages qui avalisent la négation pure et simple du droit de colonisation. « Cette soif insatiable d'or a donné naissance au plus atroce de tous les commerces, celui des esclaves. […] Laissez-les en friches [les colonies] s'il faut que, pour les mettre en valeur, l'homme soit réduit à la condition de la brute, et dans celui qui achète et dans celui qui vend, et dans celui qui est vendu... (4) ».

Cette identification entre les trois acteurs de la traite (le vendeur, le vendu et l'acheteur), la caractérisation du processus de déshumanisation comme un fait réflexif qui touche tant l'exploité que l'exploitant (qui ne trouve sa liberté qu'en niant celle de l'autre, par conséquent il ne jouit que d'une liberté précaire faisant fi de la réciprocité du lien social) sont une forme embryonnaire mais au tranchant critique déjà bien aiguisé, de la dialectique du maître et de l'esclave. Hegel mais plus encore Marx et Engels sont les héritiers critiques de cette tradition radicale des Lumières françaises faisant de ce rapport social le moteur de l'Histoire. Ainsi, les Jacobins furent les premiers à abolir l'esclavage après 3 jours de débats (3, 4, 5 février 1794) aux cris de « Vive la République ! Vive la convention ! ».

Les Lumières sont un écosystème intellectuel large et complexe où se jouent des intérêts parfois contradictoires, de même que l’ascension de la bourgeoise est un mouvement général d'abolition des classes féodales, mais celle-ci peut théoriser et agir parfois au-delà de ses intérêts alors qu'elle s’accommode des structures féodales, en certains lieux, pour accroître sa longévité.

Nous soulignions en effet au dessus que les Jacobins avaient, conformément aux vues de Jean-Jacques sur l'économie, encadré la propriété et critiqué avec véhémence l'auto-régulation du marché, surtout en temps de crise. Les Jacobins fondent, pour reprendre un mot utilisé par les hommes de la résistance, « la démocratie économique ». L'homme est doté de droits inaliénables : expression, résistance à l'arbitraire, liberté de culte ... mais tout cela n'est que chimère si la formation sociale dans lequel il produit et reproduit son existence le nie dans sa capacité à vivre.

« Le premier des droits c'est celui d'exister. La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d'exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là (5). ».

Voilà dans la politique jacobine une grandeur que l'on vit rarement dans l'Histoire. Des hommes piétinant leur intérêts de classe, qui proclamèrent de véritables lois d'avortement du capitalisme (6). Les Jacobins ont attiré à eux d'autres groupes sociaux et cette coagulation sociale a été la colonne vertébrale d'une lutte des classes acharnée pour la défense de la patrie. Une praxis politique qui fond en une seule et même substance l'amour de la patrie et ses lois, et la justice en général. Une dialectique parfaitement réglée entre enracinement national et mission universelle. Un universel qui tire sa force de l’énergie nationale et une énergie nationale qui se déploie au-delà d'elle-même : vers la libération de l'homme tout entier.

Laissons parler l'avocat d'Arras : « cet amour sacré de la patrie, cet amour plus sublime et plus saint de l’humanité, sans lequel une grande révolution n’est qu’un crime éclatant qui détruit un autre crime. Elle existe, cette ambition généreuse de fonder sur la terre la première République du monde ; cet égoïsme des hommes non dégradés, qui trouve une volupté céleste dans le calme d’une conscience pure et dans le spectacle ravissant du bonheur public. Vous le sentez, en ce moment, qui brûle dans vos âmes ; je le sens dans la mienne. »

Enfin, il convient d'en finir avec la confusion entre jacobinisme et centralisme parisien. Il est de bon ton, de Onfray à Maurras aux réductionnistes tels que Macron et autres libéraux, de brocarder le centralisme jacobin en désignant la Révolution française et la tradition jacobine comme coupable des lourdeurs bureaucratiques. Les Jacobins souhaitaient une république couplée d'une démocratie semi-directe. À distance du régionalisme fédéraliste et du révolutionnarisme intégral des franges les plus radicales des sans-culottes, les Jacobins souhaitaient une juste distribution des pouvoirs selon le découpage : commune, département, région, État. La loi est partout la même (indivisibilité de la république) mais les différents échelons administratifs doivent prendre les décisions les plus utiles au contact de la population, notamment sur les questions d'infrastructure et de services publics.

Ce souci d'une juste décentralisation dans le cadre d'un État-nation souverain et indépendant s'oppose en tout points à l'euro-balkanisation de la France qui sent très fort l'annexion de l'Alsace en 1870 et l'Occupation de la partie nord du pays en 40... Cette préoccupation pour les territoires traverse toute la tradition jacobine jusqu'au programme du PCF de 1971 (7). Le Directoire, le Consulat et l'Empire signent la fin de la république réalisée sous sa forme jacobine (août 1792 – juillet 1794) pour ouvrir une période de République bourgeoise (8) sans démocratie suivie du Consulat et de l'Empire.

L’objectif de cette vidéo consiste à offrir une trame historique nuancée sur la vie politique de la France au XIXème siècle. Cette histoire apparaît en effet trop souvent confuse dans l’esprit de beaucoup de militants et de citoyens. Or, ce siècle est décisif pour comprendre encore aujourd’hui la vie politique française. L’histoire révolutionnaire de la France ne s’est pas arrêté en 1789 après avoir mis en place une république démocratique et libre. Au contraire, le XIXème est un siècle d’expériences politiques diverses.
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La tendance qui traverse ces trois régimes et qui s'accentue progressivement en chacun d'eux est la suivante : en s'inscrivant dans la tradition républicaine et révolutionnaire, ils nient rapidement le principe démocratique de légitimité populaire. Le suffrage universel est annulé, les droits sociaux et économiques sont supprimés, et le politique en lui-même se voit confiné dans l'appareil d'État qui devient le seul lieu de la délibération. L'hyper-centralisation date de la réaction thermidorienne et Napoléon en fera une de ses caractéristiques, pour le meilleur et pour le pire. Cette zone grise entre la république démocratique et populaire et l'arbitraire c'est le néo-jacobinisme issue du directoire de 1794-1799. La IIIe République qui fleurit sur le cadavre de la Commune s'inspirera d’ailleurs, pour son armature juridique et administrative, de la période post-jacobine de 1794-1799.

Ainsi sommes-nous des Jacobins au sens large du terme. Diderot, Rousseau, Grégoire, Raynal, Saint-Just, Marat, Louverture, Babeuf, du Bellay : voilà nos pairs, voilà nos semblables. À l'heure où le prix des produits de première nécessité risque de flamber, souvenons-nous des Jacobins qui votèrent des lois sur le maximum afin que le prix du pain soit bloqué. Notre république ressemble par bien des aspects à un néo-Directoire sous domination d'un extrême-centre (9) brutal et libéral, incapable de prendre des décisions d'envergure en dehors des mesures policières et liberticides, tandis que le désordre croît et dégénère dans le domaine social. Hélas, il n'est pas dit que nous aurons un de Gaulle ou un Napoléon pour remettre de l'ordre dans ce foutoir en usant un tant soit peu vertueusement la force de l’État. Au contraire, Macron utilise les institutions de la Ve contre son peuple et il semble bien qu'il n'y aura que les eaux glacées de la Loire (jadis appelé fleuve républicain pour les malencontreuses « déportations verticales » qu'on y pratiquait) pour faire taire sa délégation de managers sans-âmes.


Notes et références :

(1) George Labica, "Robespierre", Paris, Fabrique, 2013, page 120
(2) Jean-Jacques Rousseau, "Du contrat social", Paris, Garnier, 1962, page 269
(3) Condorcet, "Œuvre", vol VII, page 63
(4) Yves Benot, "Les Lumières, l'esclavage, la colonisation", Paris, La Découverte, 2005, page 138
(5) Albert Mathiez, "Études sur Robespierre", Paris, Sociales, 1973, page 119
(6) Yves Vargas, "Jean-Jacques Rousseau, l'avortement du capitalisme", Paris, Delga, 308
(7) Parti communiste français, "Programme pour un gouvernement démocratique d'union populaire", Paris, Sociales, 1971, page 139-143
(8) Denis Woronoff, "La République bourgeoise", Paris, Seuil, 1972, 250 pages
(9) Expression utilisée par l'historien Pierre Serna pour désigner une famille politique française située au milieu de l'échiquier parlementaire. Elle se déploie dans le discours avec le langage de la modération, mais n'hésite pas à user de la force brute. C'est une forme de libéralisme autoritaire qui va du Directoire à Macron en passant par Adolphe Thiers. voir Pierre Serna, "L'extrême centre ou le poison français 1789-2019", Paris, Champs vallon, 2019
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