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Opinion

La grande infantilisation

Pubs télévisées et Internet, affiches dans le métro, logos et chatbot d'entreprises ou d'administrations, discours de Jean Castex et d'Emmanuel Macron... Chaque jour est une nouvelle dose d'infantilisation humiliante.

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Par Quentin Liberpré

Lecture 8 min

« Le capitalisme moderne veut que nous soyons jeunes et que nous restions des enfants ! Le travail des uns sera l’éternelle adolescence des autres. »
Michel Clouscard, Le capitalisme de la séduction

Faire des enfants des adultes et des adultes des enfants. Tel est le projet de société qui s’est imposé depuis l’après-guerre et qui continue de se perfectionner chaque jour un peu plus. Qui n’a jamais vu d’adulte extatique devant un enfant qui s’approprie la navigation d’un téléphone portable ? « Regardez comme il est doué ! Il a compris comment fonctionne le téléphone ! Comment est-ce possible ?! » Cet être incapable, enferré dans la plus totale dépendance à autrui, parviendrait à manier un instrument si riche d’intelligence et de technique humaine ? Prodigieux… pour qui ne voit pas plus que le bout de son nez. C’est que l’objet en question est extraordinairement intuitif. Tellement intuitif que même un chat est capable d’interagir avec lui et de balayer un écran. Non, ce qui est prodigieux, c’est que l’esprit et les mains de l’homme disposent d’une puissance créatrice telle qu’ils parviennent à accoucher d’un objet qui offre une aussi large palette de possibilités au prix d’un effort inférieur à celui de chier. Le progrès technique est ce phénomène qui peut paraître paradoxal où la grande quantité de travail historiquement accumulée fait disparaître le travail en l’invisibilisant. Ainsi l’homme peut-il progressivement faire couler la sueur de son front à d’autres fins que celle de gagner son pain. Mais gare au péril. Car toute disparition du travail immédiatement perceptible est également celle de son producteur, ce qui peut créer ou maintenir chez le sujet l'illusion d'une existence monadique en laquelle l'Autre n'est que vague écho lointain...

Parents en pleine béatitude devant leur enfant sous hypnoseParents en pleine béatitude devant leur enfant sous hypnose (Andrea Piacquadio / Pexels)

Pour l’enfant en effet, tout tombe tout cuit dans le bec : pas de travail à fournir – car il ne peut pas fournir de travail, cela ne relève pas de sa condition. Aussi ne peut-il jamais percevoir le travail, il ne voit que des biens de consommation. C’est que pour lui, tout a toujours été, et tout a toujours été pour lui. L’éducation – progressiste – ne consiste alors qu’en un mouvement de sortie de la dépendance à l’Autre, donc à sa connaissance et à sa reconnaissance, ainsi qu’à celle de son travail. C’est l’insertion dans la cité, l’éducation politique. Imaginez maintenant un monde où l’on peut basculer dans une autre réalité par une simple pression d’index, où tout peut apparaître comme par magie (la lumière !) et où le travail est ontologiquement nié par l’extorsion des travailleurs. Comment dès lors ne pas appréhender le réel avec des yeux de bambin ? Tout tombe du ciel et fonctionne de manière autonome : retour à la case départ. Bonus ! Le libéralisme le plus débridé s’installe insidieusement au plus profond du sujet. Puisque tout est déjà là, au nom de quel droit l’Autre pourrait m’importuner de ses choix, de ses désirs, de son existence ? Non non non, chacun sa route, chacun son chemin. Ou plutôt chacun son rail : là, on est sûrs de ne pas se croiser. Plus encore, l’ontologie libérale reposant sur le continent inconscient de la production – et donc du travail – se double d’une vision consommatoire de l’Autre. Non seulement je ne veux pas qu’il me trouble, mais en plus je désire qu’il me serve (oserait-on évoquer le désastreux rapport homme-femme d’aujourd’hui ?) Aussi, les réflexes fascistoïdes refont surface lorsque des entrailles du monde ressurgissent les travailleurs que l’on y a enchaînés.

C’est ainsi que toute une société, qui camoufle le travail par une galaxie d’objets de consommation, produit de parfaits petits consommateurs irresponsables qui n’ont aucune idée du travail… et qui ne doivent surtout pas en avoir. À l’école, aucune éducation au travail. Personne ne sait ce que c’est. Rien ne doit transparaître. Jamais enfant de France n’a été aussi éloigné de cette question. « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Qu’est-ce que j’en sais ! Je ne sais même pas ce que c’est, moi, faire ! Qui m’a appris comment sont ramassées mes poubelles ? Qui m’a appris comment l’eau coule de mon robinet ou de mon chiotte ? Qui m’a montré les producteurs de céréales, de viande, de lait ? Qui m’a expliqué comment a été produite ma Gameboy ? Qui m’a enseigné la soudure, la menuiserie, la maçonnerie, la plomberie, la peinture, la charpenterie ? Au mieux, ma famille. Le privé. Mais jamais ma conseillère d’orientation, cette aiguilleuse fantôme, vague chercheuse d’annonce dans les magazines, terrible homme de paille de la désorientation organisée. Non, il faut nous biberonner à l’idéologie dominante, nous faire boire le liquide qui instillera la croyance en la « société de consommation » jusque dans les parties les plus intimes (!) de notre corps, nous donner pour la vie le goût de la sueur du travailleur et le désir profond de sucer son sang.

L’école a été rongée par les termites libéral-libertaires du tout-cuit-dans-l’bec. Il semblerait que le capital n’ait plus besoin aujourd’hui de former en masse des jeunes qualifiés, ce qui fut sans doute le cas au lendemain de la seconde guerre mondiale où se mettait en place la gestion de la nouvelle infrastructure économique qui permettait la production en série de marchandises et de services. Les postes sont occupés, et les couches moyennes regorgent de surplus démographiques. Non, maintenant que cette infrastructure est en place, il vaut mieux des jeunes avec une formation minimale et qui sont prêts à tout pour reconduire leur état de prématurés, consommateurs parfaits. Les plus acharnés rejoindront le panthéon des figures mythologiques contemporaines : rappeurs, footballeurs, e-sportifs, commentateurs, influenceurs, intellectuels de la mode et du mondain. Les plus mauvais seront ouvriers, chômeurs, salariés au SMIC ou guère mieux, voire même parfois moins, dans des chaînes de restauration rapide, de mode, de cinéma, de librairie etc. Nous ne faisons ici qu’un constat empirique proche de la sociologie de comptoir et il faudrait pousser l’analyse des métiers beaucoup plus loin, mais toujours est-il que malgré ces situations minables, tous la vivront comme un moyen pour maintenir leur état de consommateur et jamais comme une fin en soi. Et malgré les multiples stratagèmes mis en place par le capital pour prolonger chez eux l’illusion d’une vie de consommation parfaite, en refoulant sans cesse leur travail concret par le joint, la fête, le jeu vidéo, l’esthétique et tout autre ludo-apaisement auquel ils sont habitués depuis leur plus tendre enfance, le fossé se creuse et la schizophrénie s’installe chez celui qui est désormais déchiré entre son âme de libéral-libertaire et son corps qui souffre du principe de réalité : le travail. La lutte à mort a commencé entre le producteur refoulé (mais bien réel) et le consommateur fantasmé qui, lui, bat en retraite dans le réel faute de moyens matériels. Burn-out ? Dépression ? Rage ? Violence ? Envers qui ? Envers quoi ? Ma femme ? Mon pote ? Ma mère ? Mon père ? Les chômeurs ? Les keufs ? Les retraités ? Les privilégiés de la SNCF ? Les noirs ? Les arabes ? Les Chinois ? Les antivax ? Ou alors Macron ? Et si c’était Macron… ? Bof, j’y repenserai demain, pour le moment… Picole.

Dans ce schéma, plus de place pour l’effort ou la réflexion. Ils ne sont plus d’aucune utilité, et sont même contradictoires avec l’immédiateté de la consommation. L’un et l’autre ne devront avoir d’existence que pour la servir : réfléchir à comment j’ordonne ma consommation, à mon style, à mon genre de vie ; m’efforcer pour m’extirper du bas-monde de la production, gérer des business, charbonner, et alors peut-être… Je rejoindrai le panthéon des consommateurs. En attendant, je signifie, je représente, je suis un genre, je suis une manière d’être. Mais une réflexion centrée sur soi et sur l’environnement, une mise à distance des sens et de la libido, c’est nocif. Idem pour l’effort qui conduit à l’autonomie, en apprenant de ses erreurs et en les corrigeant. L’erreur n’a d’ailleurs plus de raison d’exister : tout est bon dans la consommation. Pourtant l’erreur est un gisement humain formidable : c’est par elle que se dégage l’horizontalité des mondes possibles, les galeries que je peux, pourrai et aurais pu emprunter, la voie de la liberté et de la morale.

Gisement, mine, effort… Travail. L’effort est étape du procès de travail et travail de soi. Il n’a pas sa place en « société de consommation ». Voilà ce que c’est, le grand nivellement – par le bas. À l’école, plus de devoir, plus d’apprentissage – et a fortiori de par cœur –, plus d’évaluation, plus de redoublement et de moins en moins d’examens nationaux pour certifier un même niveau pour tous (on leur préférera désormais les contrôles continus, où la classe fixe elle-même le niveau). Il est possible de finir son collège en écrivant en phonétique et en croyant que 1789 date la fin de la préhistoire. Alors à quoi sert un prof ? Je pose sérieusement la question. À quoi sert un prof ? Il répète la même chose chaque année à des élèves quelle que soit leur classe, étant donné que ceux-ci passent d’un niveau à l’autre sans rien apprendre. Il doit gérer des groupes de plus en plus nombreux d’individus désireux d’être laissés tranquilles ou qui foutent le bordel pour être mondainement validés. Gérer… des gosses turbulents… mous… proches de l’animalité tant ils sont maintenus au stade de prématurés… Mais ! Ne serait-ce pas… Oui… Je sens que ça vient… Eurêka ! Ce sont des nourrices ! Pendant que les parents vont gentiment faire fructifier du capital, il faut bien les garder, ces petits anges !

fond blanc

Voilà pourquoi des psychologues sympathiques viennent leur expliquer leur travail et comment il faut gérer des individus qui souffrent de troubles de l’attention et/ou d’hyperactivité, ou d’autres troubles cognitifs. Car s’il n’est pas question de remettre en cause l’existence de « dys » multiples et des handicaps qu’elles peuvent causer, on notera que le discours – et les actes – qui accompagne leur présentation n’est pas du tout un dépassement de ce handicap par des aides réellement adaptées et un effort pour le surmonter, mais une fixation de la personne à cette pathologie, faisant d’elle une pauvre victime ad vitam eternam, la figeant dans un état de mineur social irresponsable qui ne doit rien à personne mais à qui l’on doit tout… sans que, bien souvent, on ne lui donne rien. Cette même psychologue m’expliquait que « ce n’est pas eux de s’adapter à la société mais à la société de s’adapter à eux ». Pourquoi disjoindre les deux ?

Et l’on n’évoquera pas l’inflation des types de « dys », qui viennent à leur tour naturaliser ce qui n’est qu’une insuffisance momentanée, un défaut d’apprentissage, pour mieux refouler l’effort et cultiver l’oisiveté. C’est ainsi que l’on peut désormais croiser des « dysgéographiques » ou des « dysorthographiques ». À nouveau, répétons-nous : il ne s’agit nullement de nier le fait qu’une certaine trajectoire puisse, dans l’enfance, provoquer des troubles cognitifs qui entraînent des handicaps réels – y compris orthographiques bien sûr, ce pourquoi l’on utilise le mot « dysorthographie » – pour déchiffrer un texte (dyslexie), se mouvoir dans l’espace (dyspraxie) ou parler à autrui (dysphasie). Le problème est d’en faire un motif pour maintenir la personne au stade de prématurée, dans la dépendance, en considérant que l’on ne peut rien faire d’autre pour elle que de compatir ou lui offrir vingt minutes supplémentaires pour ses examens… qui ne servent à rien. Au fond, le bourgeois s’en fout du dyslexique, il n’est lui aussi qu’un petit animal à qui l’on donne un joli susucre ou que l’on embrasse sur le haut du crâne une fois de temps en temps. « Oh le pauvre, ça doit pas être facile… * à l’associé * il peut bosser quand même sur le chantier ? Ah ! Très bien, très bien… »

Ah… l’école… Heureusement qu’on ne la quitte jamais ! « Grâce à la boîte, j’ai pu faire des ateliers teambuilding avec les collègues l’autre jour en séminaire. C’était énorme ! Tir à la corde, course d’orientation, course en sac… y’avait même une sorte de tapis Twister où on s’est réunis en cercle pour échanger sur nos points communs ! Signe astrologique, qualité première, sport préféré, passion… C’était super enrichissant… Et puis y avait la soirée ! Super musique, on a vachement bien dansé, chacun envoyait ses meilleurs moves. Hâte d’être l’année prochaine ! »

Course en sacs corporateCourse en sacs corporate (RODNAE Productions / Pexels)

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