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Élection présidentielle

Référendum sur l'immigration : Mme Le Pen se moque de vous

MM. Zemmour, Bertrand, Barnier et Mme Pécresse veulent tous un référendum. Invitent-ils les Français à trancher eux-mêmes sur des questions décisives ? Ces propositions sont-elles réalistes ? Prennent-ils les électeurs pour des gogos ?

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Par Marius P.

Lecture 10 min

Le référendum sur l’immigration est devenu la marotte de la droite conservatrice. De la starlette de la réaction Eric Zemmour à l’ancien commissaire européen Michel Barnier, tous affirment vouloir organiser un grand vote national. Eh oui, même le vieux modéré Barnier s’y est mis, et a fait monter les enchères en promettant d’organiser le vote très rapidement, juste après le premier tour des législatives. C’est une tactique bien maligne, un moyen évident de consolider l'éventuelle majorité présidentielle.

Impossibilité formelle de la révision constitutionnelle par la voie du référendum

Cependant, un référendum, ça ne s’organise pas à la va-vite. Certains candidats prennent la chose à la légère et s’imaginent même réviser par cette voie la Constitution. Ils prétendent imiter De Gaulle, qui a utilisé en 1962 l’article 11 de la Constitution pour réviser le texte suprême par voie référendaire, plutôt que l’article 89. Le projet avait alors abouti malgré son inconstitutionnalité : le peuple s’est exprimé en faveur de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, et non plus indirect comme c’était le cas avant.

Jean-Philippe Derosier a rappelé que « Marine Le Pen n’est pas le général de Gaulle et 1962 n’est pas 2022 », et pourtant, la candidate du Rassemblement National, qui n’a pas le quart du tiers de la légitimité historique ou du charisme du chef de la France libre, veut refaire le même coup. Pour réparer cette bis repetita, les candidats de la droite conservatrice ont recruté des gens du métier. Marine Le Pen s’est entourée de deux éminents juristes, Jean-Paul Garraud, ancien juge et président de l’Association professionnelle des Magistrats, et le conseiller d’État Hervé Fabre-Aubrespy. M. Zemmour, quant à lui, peut compter sur l’appui de Sarah Knafo, auditrice à la Cour des Comptes sortie en haut du panier à l’ENA. Puisqu’ils sont des juristes très compétents et reconnus de leurs pairs, ils savent que ce qu’ils proposent est infaisable et prennent les Français pour des abrutis.

La base juridique de leurs prétentions délirantes est la décision Monnerville du 6 novembre 1962 qui affirmait que les lois référendaires, expressions directes du peuple, ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Les temps ont changé depuis. Le Conseil constitutionnel a surmonté l’obstacle qu’il s’est lui-même créé en se reconnaissant compétent pour contrôler les actes préparatoires d’un référendum par la décision Hauchemaille du 25 juillet 2000. Par conséquent, plutôt que d’attaquer le contenu de la loi une fois écrite et adoptée par le peuple, le Conseil pourra empêcher la tenue même du référendum en frappant d’inconstitutionnalité le décret présidentiel décidant de soumettre un texte au référendum.

Un revirement de jurisprudence est parfaitement inconcevable car Mme Le Pen ne pourra pas installer ses pions à la rue de Montpensier. Les neuf membres nommés du Conseil constitutionnel ont un mandat de neuf ans non renouvelable. Tous les trois ans, le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat remplacent chacun un membre par un nouveau. La candidate Le Pen, si élue, pourra donc seulement changer un des neufs membres, sachant que son mandat s’achève en 2027 – contre 2025, 2028 et 2031 pour les autres membres du Conseil. De surcroît, il sera encore plus aisé pour le Conseil constitutionnel de torpiller une proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) car celle-ci est expressément soumise à un contrôle de constitutionnalité par l’alinéa 4 de l’article 11 de la Constitution, sachant qu’elle ne peut même pas abroger une disposition législative de moins d’un an, bien que d’un rang inférieur à celui de la Constitution.

Impossibilité d’être soutenu par le Parlement, ennemi de la démocratie directe

Il faudra donc pour Mme Le Pen passer par une des voies prévues par les textes. Elle se cassera immanquablement les dents. Le projet de loi constitutionnelle doit être approuvé dans des termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. Cela signifie que quand bien même les députés du RN seraient majoritaires, le projet sera bloqué par le Sénat. Même M. Macron n’ a pas pu faire passer son propre projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique » portant sur des sujets autrement moins polémiques, comme l’extension du champ du référendum ou encore la suppression de la Cour de justice de la République.

Pour surmonter la difficulté de l’opposition parlementaire à l’expression directe du peuple français, le doyen Vedel avait proposé une révision de l’article 89 permettant au président de la République de pouvoir voir son projet de référendum constitutionnel être valablement approuvé par les 3/5èmes d’une seule des deux assemblées si l’autre se refusait à l’accepter. Le projet a évidemment été mis au placard.

« Il faut plaindre un peuple quand, parvenu à l’âge de la maturité, il se voit, en raison des institutions politiques en place, privé de la possibilité de dire par lui-même son mot au sujet de ses propres affaires. »
Carré de Malberg (1931)

Il n’est pas dans l’intérêt du Parlement de laisser le peuple s’exprimer directement par la voie du référendum. La légitimation de son existence passe précisément par la captation de la souveraineté nationale, par cette grande fumisterie qu’on appelle la représentation nationale. Il tient jalousement à garder un quasi-monopole sur la révision constitutionnelle avec la complicité de l’exécutif depuis le départ du général De Gaulle. Sur les 22 lois constitutionnelles adoptées depuis 1958 sur le fondement de l’article 89, seule une a fait l’objet d’un référendum. Le référendum était censé être la voie principale de la révision, il est devenu l’exception.

Impossibilité de « passer outre »

Marine Le Pen et la plupart des candidats malheureux du premier tour optent alors pour la solution de facilité : passer outre. Passer outre la loi, la Constitution, les conventions internationales, les normes européennes. Après tout, quand on est le chef de l'État, qu’on est à la tête des forces armées, qui viendra nous inquiéter ? Qui viendra nous sanctionner ? Avec quelle armée ?

M. Zemmour souhaite réviser l’article 55 qui place les traités au-dessus des lois. En fait, cet article a pendant longtemps été ignoré par les juges et en particulier par le Conseil d’État. Dans son arrêt de section du 1er mars 1968 Syndicat général des fabricants de semoules de France, ce dernier avait refusé de faire primer un traité sur une loi votée postérieurement. Cette position fut maintenue pendant plus d’une dizaine d’années, jusqu’à l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989. Modifier cet article ne serait donc qu’un retour à la situation antérieure. Ce serait oublier qu’il existe depuis 1992 un titre XV spécifique à l’Union européenne, et qu’un juge français pourrait très bien faire valoir la théorie de la spécificité du droit européen pour le distinguer du droit international – théorie formulée par la Cour de justice des Communautés européennes (désormais CJUE) dans son arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964, et acceptée explicitement par le Conseil d’État par sa décision M. Kandyrine de Brito Paiva du 23 décembre 2011. M. Zemmour attend-il des juges une espèce de grand sursaut patriotique en revenant sur une longue évolution jurisprudentielle entamée depuis maintenant quarante ans ? Croit-il qu’en changeant un seul article de la Constitution, il pourra changer le destin de la France ?

Le délire que veulent entretenir ces candidats malhonnêtes auprès de leurs électeurs est la croyance selon laquelle le Président est tout-puissant. Ils omettent qu’il ne tient sa puissance que du consentement des autres autorités. De plus, les pouvoirs qu'octroie la lettre de la Constitution au président de la République sont limités. C’est le Premier ministre qui détermine la politique de la Nation. Or, celui-là ne peut tenir qu’avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, qui peut renverser le gouvernement. Croit-on que les députés seront aussi serviles lorsque l’on ira directement contre leurs intérêts ? Mme Le Pen connaît les limites du pouvoir présidentiel. Elle a retiré de son programme sa proposition de 2017 de réduire le nombre de sièges au Parlement, et donc de prébendes, pour ne pas attirer le courroux de ceux qui seront appelés à être ses alliés.

Les normes supérieures ont irrémédiablement enchaîné l’avenir (1). Les choix de société les plus fondamentaux ont été confisqués. Le souverainisme de pacotille de la droite conservatrice trompe les Français en mettant tout sur le dos de l’Union européenne et en créant le mythe de l'eurocratie bruxelloise imposant son diktat sur les institutions de la République. Si la souveraineté nationale ne peut être exercée, c’est d’abord à cause du Parlement et des juges. Ils ont verrouillé à double tour les possibilités de changements radicaux que permet le référendum.

« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »
Article 28 de la seconde Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 24 juin 1793

Un usage pervers du référendum

Ce verrouillage ne bloque cependant pas la capacité de nuisance très réelle du futur président de la République. Elle la cantonne juste à ce que les députés et sénateurs, serviteurs de leurs propres intérêts et de ceux de leurs maîtres de la Haute Banque, peuvent tolérer voire soutenir.

Mme Le Pen et M. Zemmour comptent vider le préambule de la Constitution de 1946 – qui a encore une valeur constitutionnelle – d’une partie de son contenu en s’attaquant au droit d’asile : les demandes ne pourront être faites qu’en dehors du territoire national. Poussant le vice jusqu’au bout, Mme Le Pen veut ajouter une disposition dans la Constitution, et pas n’importe où : à l’article premier ! Elle veut gribouiller dessus : « [la politique migratoire] ne peut avoir pour conséquence l’installation d’un nombre d’étrangers sur le territoire national de nature à modifier la composition et l’identité du peuple français ». Évidemment, cet article irait directement en contradiction avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui fait aussi partie du bloc de constitutionnalité. Mme Le Pen veut aussi passer outre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela, les vieux croûtons réactionnaires de LR, voire les centristes, l’acceptent déjà.

En effet, Mme Le Pen n’est pas la première à vouloir insérer la notion de « composition » du peuple. M. Sarkozy avait déjà demandé à Simone Veil d’introduire un « principe de diversité » dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. Bien que l’article premier offre une faible protection contre la racialisation de l’action publique, comme l’a relevé Mehdi Thomas Allal, qui note que le fait que la République « respecte toutes croyances » vient quelque peu affaiblir la phrase précédente, il a quand même pu faire obstacle à l’introduction de statistiques raciales à travers l’interprétation qu’en a fait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 novembre 2007 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Une telle modification ouvrirait la porte au fichage racial, une entorse supplémentaire à cette idée fondamentale d’indifférence de l’État vis-à-vis des différences et même de non-reconnaissance des différentes « communautés », car il n’y a qu’une communauté : la communauté des Français.

Le référendum sur l’immigration est un référendum pervers. Il vise à faire porter le chapeau au peuple pour la décadence morale du pays. Les libéraux et les parlementaires seront confortés dans leur aversion du référendum par mépris du peuple, et les réactionnaires pourront exciter les passions tribales chez les « Français de souche » tout en étant parfaitement incapables d’accomplir leur programme du fait du blocage des institutions. Tout cela n’est qu’une immense perte de temps.


(1) Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, L. II, Ch. 1, cité par Bernard Brenet, « Libérer le référendum », Petites affiches, n°118, p.14
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